Pietà de Bertin Duval - Alençon, France

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1530

Pieta by Bertin Duval

 

Ce vitrail de la Renaissance, créé par le maître verrier Bertin Duval en 1530 et installé dans le chœur de l'église Notre-Dame d'Alençon (Orne, Normandie), illustre la transition entre le style gothique tardif et le style Renaissance naissante dans l'art religieux français. D'une hauteur d'environ 4 mètres, encadré d'une lancette, il est réalisé en verre de zéolite aux riches couleurs chatoyantes – bleus profonds, rouges vifs, verts émeraude et jaunes dorés – cuit avec une teinture argentée pour créer des halos lumineux et des carnations  harmonieuses. La composition est divisée verticalement en trois registres, encadrés d'une frise gothique à arcatures et motifs floraux, laissant filtrer une lumière diffuse qui anime le récit de la Passion et de la Résurrection du Christ, suscitant une profonde tristesse et un sentiment d'espoir.

Dominant la lancette supérieure, une Crucifixion saisissante se déploie sur un ciel bleu cobalt transpercé de rayons dorés. Le Christ est cloué sur une croix tau monumentale au centre, son corps allongé, pâle et ensanglanté, flanqué de la Vierge Marie en pleurs, vêtue d'une longue robe bleue (à gauche), et de saint Jean l'Évangéliste en tunique rouge (à droite), leurs gestes de lamentation rendus avec une expressivité linéaire. Des voleurs, perchés sur de plus petites croix, sont suspendus de part et d'autre, tandis que des soldats romains en armure segmentée et un centurion à cheval (à droite) sont témoins de la scène ; des échelles et des outils jonchent le sol. Des chérubins et des séraphins planent dans les écoinçons, leurs silhouettes blanches ourlées d'argent, symbolisant le deuil divin. Cette scène, se détachant sur des nuages stylisés et l'horizon lointain de Jérusalem, saisit l'agonie crue du Golgotha avec l'attention caractéristique de Duval à la profondeur émotionnelle et au détail architectural.

Le registre central renferme le cœur du vitrail représentant la Lamentation sur le Christ mort dans une prairie verdoyante évoquant le Tombeau du Jardin, mêlant tendresse et humanisme de la Renaissance. La Vierge Marie, voilée d'un manteau bleu profond brodé d'or, berce le corps nu et inanimé de son fils sur ses genoux dans une pose classique de Pietà – son visage, empreint d'une détresse silencieuse, une main soutenant son torse tandis que l'autre touche sa plaie. Le Christ gît, inerte, la tête renversée en arrière, les yeux clos et la couronne d'épines de travers, ses plaies d'un rouge éclatant. Saint Jean l'Évangéliste, agenouillé, vêtu de robes vertes et rouges, la tête inclinée par le chagrin. Le groupe est composé en demi-cercle autour d'un sarcophage rocheux, avec des éléments symboliques comme un agneau (Agnus Dei) et des lys, symboles de pureté, disséminés dans l'herbe au premier plan. Cette composition intime et pyramidale plonge le spectateur au cœur du pathétique, tandis que de subtils jeux d'ombres, grâce à la grisaille peinte, accentuent la tridimensionnalité.

La palette équilibrée et la progression narrative de Duval reflètent le cheminement de la Passion, de la souffrance au salut, la lumière se déversant en cascade vers le bas. Influencée par l'humanisme flamand (notamment par Rogier van der Weyden), la figure allongée et expressive humanise le divin, tandis que les inscriptions gothiques (par exemple, Jean 19) l'ancrent dans la liturgie. La réinterprétation des donateurs et de l'évêque souligne la vocation communautaire du vitrail, la figure vêtue de bleu derrière saint Jean enrichissant le témoignage apostolique. Restauré au XIXe siècle, il demeure un témoignage lumineux de la dévotion normande dans le contexte des tensions précédant la Réforme.