Vendeurs chassés du Temple par Jésus - cathédrale d'Amiens

1523

Cet ensemble de reliefs polychromes, d’une grande vigueur narrative, illustre l’épisode du Christ chassant les marchands du Temple (Matthieu 21, 12–13 ; Marc 11, 15–17 ; Luc 19, 45–46 ; Jean 2, 13–16). Sculptées en fort relief et conçues comme une séquence continue, les scènes se déploient sur le mur ouest du transept nord et plongent le spectateur au cœur de l’enceinte du Temple de Jérusalem.

Le Christ apparaît au centre de la composition, au milieu de l’agitation du parvis. Son geste impérieux et son attitude résolue contrastent avec la confusion et l’inquiétude des figures qui l’entourent. Les visages expressifs, les postures instables et l’enchevêtrement des corps traduisent visuellement le désordre moral qui a envahi un espace sacré.

 

Iconography and Narrative Structure

L’ensemble ne se limite pas à un instant isolé, mais développe une narration complexe en plusieurs registres :

Shouting abuse at the moneylenders Detail Gothic Polychrome relief

  • Le Christ face aux marchands
    Le Christ se tient devant les marchands et les officiants du Temple. Son bras levé et sa bouche entrouverte suggèrent l’admonestation et la parole d’autorité plus que la violence physique, conformément à une tradition exégétique tardive qui insiste sur la force morale et spirituelle de son intervention.

Jesus appears to the money lenders in the square polychrome reliefs gothic statues Jesus appears to the money lenders in the square polychrome reliefs gothic statues

  • Changeurs et vendeurs
    Les figures souvent désignées comme des « usuriers » doivent être comprises plus justement comme des changeurs de monnaie (cambistes). Les pèlerins venant de régions diverses devaient convertir leurs monnaies non standardisées en numéraire accepté par le Temple et acheter sur place les animaux destinés aux sacrifices. Les sculpteurs prennent soin de différencier les personnages par leurs costumes, coiffures et attitudes, offrant une vision nuancée de la vie urbaine plutôt qu’une simple dénonciation caricaturale.

Shouting abuse at the moneylenders Detail Gothic Polychrome relief

  • Les douze pains
    Une scène remarquable montre les douze pains de proposition, symboles des douze tribus d’Israël. Leur représentation ancre solidement l’épisode dans la tradition cultuelle de l’Ancien Testament et souligne que l’action du Christ vise à purifier le Temple, non à en abolir le sens sacré.

Shouting abuse at the moneylenders Detail Gothic Polychrome relief

  • Le grand prêtre et l’Arche d’alliance
    Un autre relief figure le grand prêtre encensant l’Arche d’alliance, image explicitement liturgique qui inscrit la scène dans la continuité de l’histoire sacrée. Le contraste entre le rituel légitime et la profanation marchande renforce la portée théologique de l’ensemble.

Style et technique

Datés du début du XVIe siècle, ces reliefs relèvent d’un gothique tardif évoluant vers le naturalisme renaissant. On y observe :

  • une forte densité de figures au sein de cadres architecturaux

  • des draperies animées aux plis brisés

  • des physionomies fortement individualisées

  • une polychromie encore largement conservée, bien qu’atténuée par le temps

La profondeur du relief est exploitée avec audace : les figures semblent émerger de la pierre, accentuant l’intensité dramatique de la scène.

Commanditaire et datation

L’ensemble fut offert en 1523 par Jean Wytz, 1 dont la donation témoigne de la piété personnelle autant que de l’engagement civique des élites amiénoises dans l’embellissement de la cathédrale. La date situe l’œuvre dans un contexte de préoccupations croissantes autour de la réforme morale de l’Église, conférant au sujet une résonance particulière à la veille de la Réforme.

Emplacement et fonction

Placés sur le mur ouest du transept nord, les reliefs occupent une zone de passage très visible, rencontrée aussi bien par le clergé que par les fidèles. Leur position renforce la portée morale du message : rappeler la sainteté des lieux et dénoncer toute confusion entre le sacré et le profane.

Interprétation

Plutôt que de représenter un Christ emporté par la colère, le cycle d’Amiens privilégie l’image d’un Christ juge et restaurateur de l’ordre sacré. Le commerce n’est pas condamné en soi ; c’est son intrusion dans l’espace consacré qui est dénoncée. L’intégration explicite d’éléments du culte juif — pains de proposition, sacerdoce, Arche — souligne une théologie de la continuité plutôt que de la rupture, caractéristique d’une iconographie tardive particulièrement élaborée.